Comme il s’agit d’une année inédite, il me semblait évident de donner la parole aux parents quant à cette nouvelle rentrée scolaire qui s’annonce particulière. J’ai donc contacté trois parents afin d’avoir leur avis sur cette rentrée scolaire : Un papa qui a des enfants en primaire et secondaire,...

Nous organisons des cours d’apprentissage du français destinés aux parents mais actuellement le groupe ne compte que des mamans.De temps en temps, nous organisons une table de discussion sur diverses thématiques.Comme dans le groupe, il n’y a que des mamans, le thème de la parentalité et des...

Je souhaiterais vous parler ce mois-ci d’un jeune garçon qui s’appelle Gift. Je n’ai pas rencontré Gift à la permanence, non, mais en me documentant sur internet, je suis tombé sur une image forte d’un jeune en train d’étudier dans l’obscurité totale à l’aide d’une petite lampe torche qu’il a...

Entretien avec Anna Vandersteen : de l’école de la reproduction vers l’école de l’émancipation

29 Février 2016

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Anna vandersteen, j’ai un régendat en français et en français langue étrangère, j’ai trente ans et j’ai travaillé plusieurs années en tant que professeur de français du côté de Curreghem dans une école à discrimination positive. Dans cette école, où j’ai travaillé plusieurs années, nous étions plus de 80 professeurs. De ces expériences professionnelles je retire beaucoup de connaissances. L’une des choses qui m’a le plus dérangée dans cette école c’est la difficulté d’accompagner correctement les élèves. En effet, sur ces 80 professeurs, un peu moins de la moitié change chaque année. Ces changements de poste ne sont pas sans créer de nombreuses difficultés pour les élèves car le suivi scolaire est difficilement réalisable sur plusieurs années par une même équipe d’enseignants.

Avec quels publics travaillez-vous ?

Cette école se trouve dans le croissant pauvre de Bruxelles, le public y est très précaire et est composé dans sa presque totalité d’immigrés ou d’enfants d’immigrés. Le public de cette école dispose d’un faible capital culturel, de faibles connaissances scolaires de base. De part l’expérience que j’ai pu tirer de ces années de travail, j’ai constaté que l’ascension sociale des élèves au sein de cette école est fortement compromise.

En effet, de mon point de vue, l’écart qu’il y a entre la culture d’origine de l’élève et celle de l’école participe à une perpétuation des inégalités sociales et scolaires. Aujourd’hui encore, énormément d’études sociologiques appuient l’idée que l’origine sociale des élèves reste l’un des facteurs les plus déterminants dans les possibilités de réussite scolaire. Cette réalité n’est pas sans rentrer en conflit avec la volonté du législateur, exprimée dans le Décret Missions du 24-07-1997, de former des citoyens responsables et émancipés tels que décrit à l’article 6.

De mon propre avis, construit par mes expériences professionnelles ainsi que mes lectures scolaires, celui-ci m’incite à penser que l’école dans sa volonté de faire des citoyens responsables et émancipés ne parvient pas, en tout cas au sein de l’école ou j’ai travaillé, à le faire. De ce fait, l’école, face à ce constat d’échecs, en appelle implicitement à ce que les parents élaborent des stratégies éducatives afin de transmettre aux enfants une base scolaire et culturelle suffisante en arrivant à l’école. Cependant les familles les plus pauvres et ne parlant pas bien le français sont les premières objectivement discriminées face à cette demande. On peut ajouter à cela les difficultés liées à l’adolescence, âge où les élèves intériorisent et élaborent de nouvelles  normes à l’école, via leurs enseignants et leurs fréquentations.

Vous nous parlez de discrimination, pouvez-vous développer ce propos ?

La discrimination se traduit en termes d’inégalité des chances et plus précisément d’inégalité d’accès à l’école, d’inégalité d’acquis ou de prérequis scolaires ainsi que d’inégalité  de traitement et de résultats. Le système scolaire actuel reste très sélectif et répartit une grosse partie de ces élèves aux connaissances culturelles et scolaires faibles, au sein de sections qui sont dévalorisées et dévalorisantes comme peuvent l’être les sections techniques et professionnelles.  Ces filières, de part leur tronc de savoirs communs particulièrement court, participent à une sorte de marchandisation scolaire, au détriment des savoirs généraux et nécessaires pour réussir dans l’enseignement supérieur.

Je ne souhaite pas dépeindre ici un tableau qui serait trop pessimiste de la situation car il existe plein de manières pour opérer des changements, qui pour certains ont déjà été entamés. Selon moi, l’école dans son ensemble, doit être celle de la transformation sociale et pas de la reproduction sociale. Sa vocation première devrait être celle d’émanciper les jeunes qu’elle éduque. Elle se doit de participer à l’acquisition d’un bagage culturel solide, d’outils pour comprendre, évoluer et développer un esprit critique. Il me semble que pour que l’école devienne une école de l’émancipation, il faudrait retrouver une dimension collective et réflexive du travail des enseignants. Dans cet esprit, il me semble indispensable de revoir la conception de l’évaluation scolaire actuelle, car l’évaluation se doit de faire progresser les individus plutôt que de les restreindre. Favoriser l’utilisation des méthodes de pédagogies actives et de pédagogies de projets ; Interroger et questionner le sens des savoirs et leur co-construction, d’abord entre enseignants puis avec les élèves ; organiser des lieux et des temps à la réflexion sur le sens de l’école et son mode de fonctionnement. Une école qui défend des valeurs de coopération, d’égalité, de respect de la singularité de chaque élève ainsi que de justice est nécessaire. Réveiller le désir d’apprendre, redonner le plaisir d’être à l’école, garder intact le gout d’apprendre, de comprendre et de s’interroger, voilà ce qui pour moi, devrai constituer le programme d’une école de l’émancipation.

Merci Madame Vandersteen de nous avoir accordé cet entretien. Je pense que vous avez un point de vue fort intéressant qui peut nous éclairer grandement sur la situation scolaire actuelle en Belgique et particulièrement à Bruxelles.

Naïm Lfahem

Assistant social

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