Des personnes derrière les visages des migrants
Prendre le chemin de l’exil nécessite beaucoup de courage, car le chemin est long, périlleux et incertain. Mais très peu abandonnent car abandonner signifie échouer, abandonner signifie abandonner les siens, ceux que l’on laisse derrière soi, abandonner sa fierté. Alors il est hors de question de retourner. Et pourtant, en discutant avec certains, cette option n’est plus vraiment à exclure. Ils voient bien que la situation des migrants en Europe se complique, qu’on ne veut pas d’eux.
Lors d’une distribution de repas j’ai discuté avec Aboubacar*, il est originaire du Soudan du Sud, il faisait des études de médecine dans son pays mais il n’a pas pu les terminer. Sa famille a pris toutes leurs économies pour l’envoyer en Europe, en Angleterre plus précisément, pour qu’il poursuive ses études, devienne médecin et retourne dans son pays. « J’ai traversé cinq pays avant d’arriver ici, il faut que j’aille en Angleterre. »
Aboubacar me disait ne pas comprendre pourquoi c’est si difficile. « Je ne demande pas grand-chose pourtant, je veux juste faire mes études et retourner dans mon pays, j’aime mon pays ». Quand je l’ai rencontré, cela faisait 2 jours qu’il était arrivé en Belgique, il restait à la gare du Nord avec ses compagnons de voyage en attendant qu’il y ait du mouvement. Je lui ai dit qu’arriver en Angleterre allait s’avérer être compliqué. Je lui ai également demandé s’il avait pensé à retourner chez lui. Il m’a dit que ce n’était pas possible car il veut réaliser son rêve de devenir médecin pour aider son pays.
Ce soir-là, il y avait au moins 150 personnes dans la gare, au niveau des arrêts de bus De Lijn. Idriss* était là également. Il questionnait les travailleurs sociaux et les bénévoles qui étaient là. « Quel conseil nous donnez-vous ? Dans quel pays devons-nous aller ? » Il était calme, mais on pouvait ressentir la déception dans sa voix. Il est également d’origine Soudanaise, il est physicien et il a fui son pays pour des raisons ethniques. « Dans mon pays je vivais bien, jusqu’au jour où j’ai dû fuir parce qu’on ne veut pas de gens comme moi. On nous disait l’Europe c’est bien, on respecte les droits de l’Homme. Et lorsque nous sommes arrivés ici, nous avons compris qu’ici aussi on ne voulait pas de nous. On nous laisse dormir ici dans des cartons, comme des animaux. Où devons-nous aller ? »
Il n’a cessé de poser cette question, et je ne pouvais que lui répondre que partout ça allait être compliqué, surtout pour un soudanais. Officiellement, il ne « se passe rien » au Soudan donc ils n’ont pas vraiment de raison de fuir. Que pouvais-je lui dire d’autre ? Le travail que je fais exige que je sois honnête envers eux, je suis là pour les informer sur leurs droits, sur la situation en Europe, je ne peux pas leur vendre du rêve.
A côté de ces hommes de l’Afrique subsaharienne qui fuient la guerre, la famine, les persécutions ethniques, etc. il y a les maghrébins, venus chercher de meilleures conditions de vie. Ayman* est le dernier Mena avec lequel j’ai discuté, avec l’aide d’Ahmed pour la traduction. Il vient d’Egypte, il a 17 ans et demi. Il nous a été signalé par Latitude Nord, un centre de jour pour personnes sans-abris à Schaerbeek non loin de la Gare du Nord.
C’est un jeune qui a été envoyé sur le chemin de l’exil pour aider son père resté au pays avec ses petits frères et sœurs. Sa mère est décédée et il représente le seul espoir de la famille. Nous lui avons demandé si comme les autres il envisageait d’aller en Angleterre. Il nous a répondu que ce qui l’importait, c’était de pouvoir s’installer quelque part et d’aider sa famille, et si ça devait être en Angleterre ça sera là-bas. Il ne veut pas aller au Samusocial, « je ne veux pas perdre mon temps en allant là-bas. Si un moyen se présente je veux pouvoir être prêt à partir » nous dit-il. Il veut connaître toutes les possibilités qui s’offrent à lui, et nous écoute donc attentivement.
Comme les autres il ne s’attendait pas à ce que les choses soient si compliquées. Il est passé par l’Italie, la France et maintenant la Belgique. Il est fatigué et contrairement aux autres si ses tentatives n’aboutissent pas il va retourner en Egypte, il ne veut pas vivre comme cela éternellement.
Des histoires de ce genre ils sont des centaines voire des milliers à les vivre, elles se ressemblent toutes, elles parlent d’espoir et de courage, de détermination ou d’actes de folie. Ils sont entre 60 et 150 et parfois ils sont près de 200, venant d’Egypte, de la Mauritanie, du Soudan, d’Erythrée. Ils se sont créés une petite place dans la gare du Nord, parfois dans le parc, à l’abri des passages, ils dorment sur de vieux matelas ou sur un tas de cartons. Des personnes bénévoles viennent leur donner un bol de soupe, de riz, parfois un simple morceau de pain accompagné d’un café ou d’un thé bien chaud mais ils ne lâchent rien. Ils se disent que ce qu’ils vivent ne peut pas être pire que ce qu’ils ont laissé derrière. Alors ils continuent d’avancer et de supporter et un jour, qui sait, ils pourront dormir dans un lit bien chaud.
* Tous ces noms sont des noms d’emprunt
Marie