La délinquance juvénile à Bruxelles : entre réalités sociales et perception

À Bruxelles, le sujet de la délinquance juvénile revient régulièrement dans les débats politiques ou sur les réseaux sociaux, souvent accompagné d’inquiétudes sur une prétendue explosion de la criminalité chez les jeunes. Mais que disent réellement les chiffres ? La délinquance juvénile; est-elle en hausse réelle ou simplement perçue comme telle ? Et quelles en sont les causes profondes ?
Une hausse modérée, mais des formes qui changent
Les chiffres officiels montrent une réalité plus nuancée que les discours alarmistes. En 2023, les parquets de la jeunesse ont enregistré 182 335 nouvelles affaires au niveau national, soit une augmentation de 11 % par rapport à 2022. Parmi elles, environ 68 500 concernaient des faits qualifiés d’infraction (FQI) ; c’est-à-dire des délits commis par des mineurs, et 113 800 concernaient des situations de mineurs en danger (MD).
À Bruxelles, les infractions les plus fréquentes restent les atteintes à la propriété (vols, vandalisme, cyberdélinquance) qui représentent environ 33 % des faits, suivies des violences et harcèlements (25 %) et des nuisances publiques ou infractions de roulage (13 %).
Les formes de délinquance évoluent avec le temps : les vols avec violence ont légèrement augmenté, mais les nouveaux phénomènes concernent surtout les infractions numériques : cyberharcèlement, sexting non consenti, ou escroqueries en ligne. Ces comportements traduisent l’impact des réseaux sociaux et d’internet sur les interactions entre jeunes.
Autre constat : la majorité des jeunes impliqués ont entre 14 et 18 ans, et près de 78 % sont des garçons, même si la proportion de filles augmente légèrement dans les délits mineurs comme les vols ou les incivilités.
Des causes avant tout sociales
Les chercheurs du CPCP (Centre permanent pour la citoyenneté et la participation) et de l’INCC (Institut National de Criminalistique et de Criminologie) insistent : la délinquance juvénile est d’abord un phénomène social, pas une fatalité criminelle.
Les facteurs les plus déterminants sont connus :
• La précarité économique, qui limite les perspectives d’avenir et crée des frustrations ;
• L’échec ou le décrochage scolaire, qui isole les jeunes et les éloigne des cadres structurants ;
• La fragilité familiale, qui prive de repères et de soutien ;
• L’influence du groupe et du quartier, qui peut pousser à “faire comme les autres” ;
• L’impact du numérique, qui multiplie les occasions de transgression en ligne.
Dans certains quartiers bruxellois, les tensions sociales et le sentiment d’exclusion renforcent ces dynamiques.
Beaucoup de délits peuvent alors être interprétés comme une forme de rébellion ou de recherche de reconnaissance, plus que comme une volonté de nuire. En effet, les sociologues parlent d’ «adolescence transgressive» : une période où tester les limites fait partie du processus de construction de soi. La majorité des jeunes concernés cessent ces comportements en entrant dans l’âge adulte. Cette approche remet en question l’idée d’une délinquance «naturelle» ou durable : elle serait plutôt un symptôme temporaire de mal-être social.
Le rôle des institutions et des politiques locales
Face à ces réalités, plusieurs dispositifs tentent d’apporter des réponses adaptées.
Les Institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ), accueillent les jeunes auteurs de délits graves ou récidivistes. Bien qu’elles soient souvent saturées et manquent de moyens.
Les services d’Aide à la jeunesse, quant à eux, développent des approches plus préventives : médiation, accompagnement éducatif, insertion professionnelle, suivi psychologique.
Les zones de police bruxelloises, comme celle de Saint-Josse/Schaerbeek/ Evere, collaborent avec les écoles et les associations locales pour détecter les situations à risque le plus tôt possible.
Ces stratégies partagent une idée commune : mieux vaut prévenir que punir. Plutôt que d’enfermer les jeunes dans un cycle de sanction, l’objectif est de leur offrir une seconde chance et des repères.
Les médias : entre information et stigmatisation.
Le rôle des médias est crucial dans la perception de la délinquance.
Le CPCP souligne qu’une partie de l’opinion publique est influencée par une culture de la peur entretenue par certains reportages sensationnalistes. Des faits isolés, parfois spectaculaires, sont repris en boucle sur les réseaux, donnant l’impression d’une insécurité généralisée. Or, les statistiques montrent plutôt une stabilisation des infractions graves et une hausse localisée de certains délits mineurs.
Les associations, comme Jeunesse et Droit, appellent les journalistes à une approche plus équilibrée : montrer aussi les parcours positifs, les initiatives de prévention, et donner la parole aux jeunes plutôt que de les réduire à des “fauteurs de troubles”.
Hypothèses et réflexion
Face à ces constats, plusieurs hypothèses se dégagent :
1. L’augmentation apparente de la délinquance est en partie liée à une meilleure détection et à une judiciarisation accrue de certains comportements.
2. Le numérique redéfinit la délinquance juvénile : les jeunes ne volent plus forcément dans la rue, mais parfois sur Internet.
3. Les inégalités sociales et territoriales restent le moteur principal du phénomène.
4. La plupart des jeunes délinquants ne récidivent pas : ces actes s’inscrivent dans une phase de transition plus que dans une trajectoire criminelle.
5. Enfin, les discours médiatiques et politiques peuvent amplifier la peur et justifier des politiques plus répressives, au détriment de la prévention et de la solidarité.
LEYS Feidreva
Travailleuse sociale
Sources:
SPF Justice – Statistiques 2023 des parquets de la jeunesse (2024). https://www.om-mp.be, sites/default/files/Jstat_2023_ JEUGD_analysenota_FR_2024.06.12.pdf,Observatoire bruxellois de la prévention et de la sécurité – Rapport 2022 sur la jeunesse et la sécurité. https://safe.brussels/sites/default/files/2024-05/SAFE_23_004_RA2022_FR_..., CPCP – Délinquance juvénile et représentations médiatiques (2019). https://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2019/05/delinquance-juvenile.pdf, INCC – La délinquance des jeunes en Région de Bruxelles-Capitale (2023). https://incc.fgov.be/la-delinquance-des-jeunes-enregion-de-bruxelles-cap..., INCC – Rapport 32A : Comprendre pour mieux agir (2012). https://nicc.fgov.be/upload/publicaties/ rapport_32a_2.pdf, Fédération Wallonie-Bruxelles – Rapport sur les IPPJ et l’Aide à la jeunesse (2020). https://www.ccrek.be/ sites/default/files/Docs/2020_11_PlacementJeunes.pdf, Zone de police Schaerbeek / Saint-Josse / Evere – Plan zonal de sécurité 2022. https://safe.brussels/sites/default/files/2022-02/Guide-FR-v5.pdf, Jeunesse et Droit – Les chiffres de la délinquance des mineurs en Belgique (2013). https://www.jeunesseetdroit.be/les-chiffres-de-la-delinquance-des-mineur...
