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Un enfant, deux parents, un hébergement égalitaire.

31 Janvier 2015

 

Depuis le 18 juillet 2006, l’état belge s’est doté d’une loi privilégiant l’hébergement égalitaire. En effet, avant cette promulgation, il était courant que, lors d’une mésentente entre deux parents, le juge en charge de trancher le litige favorisait l’hébergement principal des enfants chez la mère. C’était dû au fait qu’aucune disposition légale ne réglementait la question de l’hébergement des enfants par leurs parents séparés et que le juge statuait sa décision sur base de sa sensibilité personnelle.

L’instauration de cette loi dite « d’hébergement égalitaire » a transformé la représentation du lien parents-enfant après séparation en privilégiant une garde partagée à durée égalitaire. Ce qui veut dire que, dans les faits, l’enfant, lorsque cela relève de son intérêt supérieur, sera « gardé » à mi-temps par ses parents et non plus, comme par le passé, hébergé chez sa mère à titre principal et chez son père à titre secondaire un week-end sur deux ainsi que la moitié des congés scolaires.

Pour analyser ces bouleversements psycho-législatifs, nous vous proposons de parcourir certains extraits d’une interview[1] de Jean-Pierre Lebrun, psychiatre et psychanalyste parue dans la revue Filatio n°16 :

Pouvez-vous nous dire quel est le bénéfice de cette loi sur l’hébergement égalitaire pour les enfants?

« Ma réponse la plus immédiate sera de dire que l’hébergement égalitaire, dans un moment de transformation sociétale où beaucoup d’enfants ne vivent plus avec leurs deux parents, permet au moins de faire entendre qu’un enfant a toujours bien deux parents. {…} Même si malheureusement il ne les voit plus ensemble. L’hébergement égalitaire, dans une société qui ne donne plus au père dans ses structures concrètes une place symboliquement forte a le mérite de pallier le risque de laisser supposer que la mère serait le seul parent. {…}

C’est en empruntant à chacun de ses deux parents qu’il (l’enfant) devient quelqu’un d’unique : une nouveauté. Il faut pouvoir entendre qu’un enfant n’est ni la propriété de son père ni la propriété de sa mère mais produit de sa double filiation. »

Jean-Pierre Lebrun rajoute à cela que l’enfant se constitue et se développe à partir de l’identité de ses deux parents et est : « un observateur des stratégies que ses parents mettent au point pour régler leurs différends, pour s’accorder. {…}  Ce qui ne veut pas dire que les conflits parentaux – surtout quand ils sont destructeurs- soient profitables aux enfants, mais il est peut-être intéressant de rappeler que l’enfant apprend dans la conflictualité comment vivre avec elle. {…}

Par ailleurs, l’hébergement égalitaire rappelle que la séparation des parents n’est pas une séparation d’avec les enfants. Le préconiser rappelle aux deux parents leurs engagements respectifs et mutuels pour amener cet enfant à l’âge adulte. »

Les juges sont confrontés à certaines difficultés lorsqu’ils tentent d’appliquer la loi favorisant l’hébergement égalitaire. Pouvez-vous nous en parler?

« Aujourd’hui, la société, représentée par des juges, ne peut plus faire autorité tierce comme elle le faisait hier. {…}. En dehors du fait de prescrire l’égalité entre mères et pères, elle ne sait plus très bien, précisément en cas de conflit, sur quoi se baser pour les départager et éventuellement décider. »

« {…} On finit donc souvent par s’en référer à la seule autorité du juge qui, lui aussi, se retrouve avec ses conflits internes, ses préjugés, sa seule sensibilité… De nombreux juges ne savent plus très bien comment user du pouvoir symbolique qui leur est conféré pour faire respecter les notions d’égalité dans l’exercice de l’autorité dite aujourd’hui parentale conjointe. Il ne leur reste alors souvent plus qu’à s’appuyer sur des expertises…Mais l’expertise, comme chacun le sait, n’est pas non plus une science exacte… En conséquence, ce qui se voudrait un menu égalitaire est souvent plutôt « à la carte »…

De ce fait, la prescription d’hébergement égalitaire prévaut aujourd’hui en Belgique, du moins virtuellement, mais n’est pas accomplie dans la réalité. Peut-être est-ce d’ailleurs une décision qui a été trop rapidement imposée, comme  le sont beaucoup de décisions actuellement. Plutôt que de faire évoluer les mentalités, et peut-être de « caler », parce que les mentalités n’évoluent pas, la modalité est différente : du jour au lendemain,  nous avons appris que l’hébergement devait être désormais égalitaire. Mais le juge aussi a dû l’apprendre…Et la difficulté est là.  C’est un vœu légitime que de vouloir l’égalité mais ça demande un long travail de maturation et d’éducation desquels, justement, elle devrait découler.»

Ce fragment d’interview du psychiatre Mr Jean-Pierre Lebrun décrit relativement bien le fonctionnement et l’application de cet hébergement égalitaire ainsi que toutes les interrogations que pose sa mise en place. En effet, par la recherche d’une plus grande égalité de droits pour les parents, le législateur s’est doté d’un outil législatif qui malheureusement est un peu comme mettre une charrue avant les bœufs, en avance sur les mentalités et sur la réalité. Néanmoins, ce cadre législatif donne la possibilité aux parents de voir leurs intérêts discordant être respectés et tranchés de manière égalitaire.

Pour le dire autrement, depuis le 18 juillet 2006 il est inscrit dans la législation que le juge en charge de trancher un conflit entre parents sur la garde d’un ou plusieurs enfants, favorisera, en respectant l’intérêt supérieur des enfants, un hébergement des enfants équitable dans la durée. Pour Jean-Pierre Lebrun cette loi bien que se voulant égalitaire a été peut-être instaurée trop rapidement sans réellement préparer la société civile, l’individu lambda, au bouleversement de fonctionnement et de mentalité que  cela implique.

L’avenir nous dira si la mise en place de ce dispositif législatif aura permis de favoriser l’égalité des droits entre parents de manière factuelle, et surtout, si cela aura contribué à améliorer ces situations de séparations tant au niveau des parents que des enfants.

                                                                                                                                                                           

Naïm Lfahem




[1] Cette interview est disponible dans son intégralité dans le bimestriel Filatio #16